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L'Espoir de Dieu

26 janvier 2017

Thése "L'Espoir de Dieu" - Soutenance - Institut Catholique de Toulouse

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le prophète Jérémie au portail de Moissac

Le séisme de la thèse de Cyprien "le Regard de Dieu" dans Jérémie 18 (le Potier) et Jérémie 26 (le procès de Jérémie)

Enorme, c'est le mot de la fin. Par ses proportions, cette soutenance fut énorme, anormale, inhabituelle, une occasion d'approfondissement limpide de nos vies.

Chaque participant, ou parent, ou lecteur dira les effets de cette soutenance, car ils sont individuels, ces effets. 

 

 

 

P1120980Voilà l'occasion d'une tribune où dire le fond de mon coeur. Aussi, n'hésitè-je pas à monter sur cette tribune, et discourir.  

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Et c'est là que la thèse de Cyprien prend son importance. Juxtaposée à notre voyage au Brésil (voir le blog Clarisseaubresil.com), et à notre pèlerinage vers Saint Jacques (voir le blog ultreia Miré Manel.canalblog.com). Cette thèse, elle aussi marquera un cran sur le chemin du Royaume. 

La soutenance nous avait fait changer notre organisation de voyage. L'avoir entendue de nos propres oreilles, aura fait changer également notre pensée. Disons tout de suite que nous ne l'avons pas encore lue, tant elle reste encore confidentielle. Merci au jury d'avoir demandé sa publication, pour combler cette lacune. Nous n'avons que la présentation en quatre pages. Heureusement, l'exposé oral a été brillant. Le jeu des questions accessibles du jury simples dans les mots employés, et passionnantes dans la pertinence de l'idée. Car ce regard de Dieu nous concerne tous, et nous allons vers lui, en réfléchissant à ce qu'il fait en face de nos fautes.

La thèse ajoute aussi un cran  à notre chemin personnel après le pèlerinage vers Compostelle d'octobre. Cela en fait des crans. A l'analyse, les trois crans ainsi franchis se complètent sûrement. C'est là, avec certitude, une grâce divine. Imprévue, inattendue, insurmontable. Soit les trois qualificatifs adoptés par les juristes pour décrire une Force Majeure. Ici, la force est celle de la grâce divine. Pas étonnant qu'elle soit au moins aussi forte que la Force Majeure. La grâce se diffuse en nous, à l'écoute de l'impétrant et du jury. Ils nous parlent de Dieu, ses qualités, ses réactions, son comportement. Pourquoi chercher à surmonter la grâce ?

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Bien sûr, pas de conclusion ici. L'essentiel n'est pas écrit, même dans ce blog, c'était une soutenance orale. Chacun en gardera le secret. Chacun ne le dit pas en parole, et n'en est pas conscient. Ou alors il le dit par son langage du corps, sans le maîtriser. Bref, cette soutenance restera sûrement pour chacun de nous une secousse. Cette secousse sera-t-elle semblable à ce repentir éventuel (mot humain, inadapté à Dieu), que Dieu nous communique. Dieu le fait avec la clarté des mots de Jérémie. En bref, nous allons au devant de maux, si nous persistons dans certaines conduites, sans nous repentir. Oui, nous allons vers une souffrance. Et alors, c'est là que c'est divin, Dieu nous donne aussi l'assurance qu'à l'intérieur de ce mal, il va nous offrir à nouveau un chemin vers le Royaume. Ce chemin sera le plus beau, car nous y aurons apporté notre contribution par notre conversion et notre souffrance.

Un message est passé, peut-être celui-là.

Des messages se sont échangés ce jour-là, un pour chacun, et chacun pour en émettre un, si je peux chiaster ainsi, à la suite d'Edmond Rostand.

Nous partîmes à quatre de Blagnac, mais nous arrivâmes cent à l'amphithéâtre Bruno de Solages, si je peux chiaster Corneille.

Et combien serons-nous en arrivant au ciel. Cent cinquante, dans l'amphithéâtre de Saint Dominique, et ce sera le chemin de tous les participants, même par Internet  à cette soutenance de thèse de l'abbé Cyprien COMTE "L'espoir de Dieu", le 9 janvier 2017.

 

Voici maintenant la présentation telle qu'elle a été déclamée dans l'amphithéâtre Bruno de Solages le 9 janvier 2017.

 

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PRESENTATION DE LA THESE

 

Vénérés membres du Jury et professeurs, chère famille, chers amis et collègues,

1.     Thème, sujet, méthode

Dieu pourrait-Il se repentir ? Peut-Il changer d'avis, regretter une décision qu'Il a prise ? D’ailleurs, une autre question s'ajoute : comment Dieu pourrait-Il espérer quoi que ce soit ? N'est-Il pas au-dessus du temps, immuable et omniscient ? Voici une question dogmatique importante, liée à celle de l’unicité de Dieu, qui elle-même rend possible la continuité de l’histoire d’Israël, selon une explication de Claus Westermann[1].

Le Nouveau Testament ne dit pas que Dieu puisse changer d’avis. Toutefois, l'Ancien Testament hébreu (ou Premier Testament) utilise des verbes pour évoquer ce type de mutation divine. Parmi ces verbes se trouve niḥām, « se repentir, se rétracter, regretter », utilisé par exemple en Gn 6, 6 : au vu de la malice humaine, « YHWH se repentit (וַיִּנָּחֶם יְהוָה) d’avoir fait l’homme sur la terre ». Trente-deux autres occurrences du verbe niḥām avec un sujet divin se trouvent dans la Bible hébraïque.

Ce repentir divin (effectif ou simplement envisagé) peut être conditionné par un comportement humain : prière, mauvaise conduite ou, à l’inverse, conversion/retournement vers Dieu. YHWH réagit face au comportement humain. Ces textes annoncent ou racontent donc une interaction divino-humaine.

D’ailleurs, la recherche que je présente cet après-midi n’est pas sans lien thématique avec le travail que j’ai précédemment soutenu dans notre Faculté en 2006, au sujet de l’appel divin et de la réponse humaine. J’avais alors étudié les huit sermons de S. Léon le Grand sur l’Épiphanie avant qu’il me soit demandé de m’initier aux études bibliques. Le Doyen d’alors (M. Philippe Molac, qui nous fait l’honneur d’être parmi nous aujourd’hui) m’encouragea à étudier plus spécialement les Prophètes.

(Démarche)

 

À l'Institut Biblique Pontifical, un cours du Professeur Barbiero commençait par la lecture du chapitre 18 de Jérémie[2]. L'épisode de la descente de ce prophète chez le potier et ce qui s'ensuit est l'occasion de ces paroles étonnantes du SEIGNEUR lui-même : « si [ce peuple] revient de sa malice, alors je me repens du malheur que je préparais ». Telle fut l'occasion du commencement de ma réflexion sur ce thème. J'ai passé plusieurs mois à étudier ce texte, les douze premiers versets de ce chapitre. Je dois d'ailleurs confesser ce que j'ai omis de mentionner dans le travail qui nous réunit : ces mois de travail à Rome puis à Jérusalem ont produit l'essentiel de la deuxième partie de la thèse que je vous présente ce soir. Lesdites pages portent donc sur la visite de Jérémie chez le potier (18, 1-12).

Mais ladite thèse compte trois parties. Pourquoi donc les deux autres ?

La lecture de Jr 18 montre que le « repentir » divin vis-à-vis du châtiment dont il menace le royaume de Juda est possible à une condition : la conversion humaine, le « retour » des interlocuteurs. Parmi les verbes qui évoquent ce mouvement en sens inverse, le mieux connu est le verbe hébreu šûḇ, l'un des plus communs de toute la Bible hébraïque. Or la recherche sur le couple šûḇ humain – niḥām divin (projeter) situés à moins de cinq versets de distance donne le résultat suivant. Ce couple de verbes se rencontre uniquement dans cinq textes vétérotestamentaires, dont je vous propose un aperçu en commençant par ceux qui ne se trouvent pas dans le livre de Jérémie.

Au chapitre 15 du 1er livre de Samuel, face à la désobéissance du roi Saül, interprété comme un détournement, une sorte d’« anti-conversion », YHWH affirme lui retirer la royauté : il regrette, se repent d’avoir fait de Saül le roi d’Israël.

Au chapitre 2 du livre de Joël, dans le cadre d’une liturgie pénitentielle, l’invitation expresse adressée au peuple, sommé de se convertir, s’appuie sur l’éventualité du repentir de YHWH vis-à-vis du châtiment : « Qui sait, peut-être aura-t-il encore du regret » (v. 14). Le pardon divin est présenté comme possible mais incertain, comme une espérance qui motive l’invitation à la pénitence.

Le passage des chapitres 3 et 4 de Jonas utilise presque les mêmes mots que Joël, mais avec la particularité suivante : selon le récit, Dieu voit la conversion du peuple de Ninive et se repent effectivement de la punition promise, à laquelle il renonce. Cela entraîne la colère de l’envoyé divin qui s’exclame : « Je [le] savais bien que tu es un Dieu bon et miséricordieux, lent à la colère et plein de bienveillance, et qui revient sur sa décision (niḥām) de faire du mal. » (4, 2).

Quant aux passages jérémiens qui nous intéressent, combinant récits et discours, je décidai de concentrer sur eux seuls mon étude pour pouvoir la mener avec quelque profondeur, tout en bénéficiant des travaux exposés dans le cours déjà évoqué. Le chap. 18 de Jérémie se trouve vers la fin de la section du livre contenant les Confessions de Jérémie ; le chap. 26, qui raconte le procès de Jérémie au Temple de Jérusalem, est situé au commencement de ce que la plupart des exégètes identifient comme la seconde grande partie du livre (les prophéties de bonheur).

(Méthodologie)

Une fois fixés la question théologique et le corpus à étudier, il reste à dire un mot de la méthodologie employée. Après une première partie récapitulant les études lexicographiques sur les deux verbes niḥām et shouv, il me revenait de mener une étude exégétique des deux textes jérémiens, soit trente-six versets. Ainsi, la deuxième partie porte sur Jr 18, 1-12, la troisième sur Jr 26. Il m’apparut rapidement qu’une approche respectueuse de ces deux textes pourrait utilement être… empirique, c’est-à-dire évolutive au fil du texte. Les études diachroniques portant sur ces deux textes sont déjà nombreuses et leurs résultats souvent contradictoires. N’ayant pas été initié en détail à ces approches historiques et critiques, j’ai préféré investir le temps qui m’était accordé dans un travail de type synchronique, sans négliger les résultats des travaux critiques. Ainsi, prenons quelques exemples dans Jr 18, 1-12 : tout au long de l’étude de cette péricope, nous nous reportons à son contexte. Les quatre premiers versets racontent la descente de Jérémie chez le potier et le spectacle encourageant qu’il y contempla, créant une impression plutôt favorable. Puis YHWH prend la parole pour expliquer le sens de cet ouvrage d’un artisan, mieux compris grâce à la présence du thème du potier en Égypte ou en Mésopotamie. L’analyse rhétorique tient une large place dans mon étude des v. 5-6 puis 7-10, où la présence de différents parallélismes oriente l’étude. Les v. 11-12 réclament une attention au lexique employé, l’intertextualité livrant de précieuses clés de lecture et soulignant le refus obstiné de l’offre divine.

Ma méthode empirique n’est-elle pas fantaisiste ? Non, elle peut comme ici se révéler efficace puisqu’elle s’adapte à l’objet étudié. Ainsi en est-il dans le récent ouvrage d’histoire religieuse de Christophe LEMARDELÉ, qui fait suite à son travail de thèse à l’École Pratique des Hautes Études, Les cheveux du Nazir. Sur un autre registre, les travaux menés par la commission de l’épiscopat français autour de la protection des mineurs reposent aussi sur ce type d’approche : en l’absence de méthode éprouvée, le recueil de l’expérience permet aux analystes de se forger une « méth-ode », un chemin à emprunter. Un inconvénient de cette démarche est une expertise moins poussée que lorsque l’étude repose sur une approche unifiée et déjà codifiée. Elle présente aussi un avantage certain : elle rend mieux justice au texte étudié, surtout lorsqu’il est composite.

Mon travail a rencontré plusieurs

2.     Difficultés

De la langue allemande, je ne sais que quelques phrases étudiées au collège ou en préparant les JMJ de 2005. Cela a rendu difficile l’accès à certains résultats de la recherche, comme par exemple ceux contenus dans le récent volume de JD Döhling sur « le Dieu qui change ». Dans bien des cas, des recensions parues en langue anglaise ou l’aide d’une autre doctorande, Mme Marie-Christine Chou, m’ont été précieux. En revanche, j’ai pu bénéficier de nombreux travaux en anglais, en espagnol et en italien.

Par ailleurs, j’ai été limité par le temps disponible. Cependant, une fois terminé mon travail de rédaction romain, il me semble que l'appartenance à l'équipe du séminaire ainsi qu'au corps enseignant de cette faculté, sans oublier le travail occasionnel dans un secteur paroissial ou un mouvement, m’ont permis une respiration et un équilibre salutaires. D’ailleurs, une fois prise la décision d’achever mon travail de doctorat, si possible avant l’âge de quarante ans, comme il m’a été conseillé de le faire, j’ai constaté qu’un surcroît de temps n’aurait sans doute pas été synonyme d’un travail mieux abouti. En réalité, vu la quantité de documents disponibles mais demeurés inexploités, il me semble que la volonté de terminer sans trop tarder (je me suis quand même inscrit en cycle de doctorat en 2010 !) et en l’équivalent de trois années pleines, m’a plutôt aidé à aller à l’essentiel de ce que je pouvais percevoir.

Une autre contrainte matérielle a été le délai nécessaire pour disposer de certains documents. Mais l’aide patiente et bienveillante de nos bibliothécaires, ici et ailleurs, sans compter le secours des communications électroniques, m’ont permis d’accéder à bon nombre d’études, comme en témoignent les nombreuses notes de bas de page (quasiment 1500) présentes dans ce volume.

Grâce aux Pères Jésuites de Rome, j’ai appris les rudiments de l’exégèse biblique. Mais cela suffit-il pour faire de la théologie biblique ? Certes, j’aurais aimé étudier plus en détail les grandes théologies bibliques, notamment du siècle passé, et celles qui émergent. Mais un travail précis sur ces deux textes jérémiens n’a-t-il pas permis de réelles avancées sur le mystère divin ? Même si ces précisions portent sur des points de détail, elles ne sont pas marginales, en particulier dans leur rapport à la théologie morale.

Venons-en maintenant à quelques-uns des

3.     Résultats

Résultats strictement exégétiques

D’une manière générale,  mon texte contient une synthèse des connaissances actuelles sur shouv et niḥām et bien sûr un commentaire assez détaillé des deux péricopes étudiées, en particulier des versets concernés par mon sujet.

Le travail que je vous présente touche aussi un certain nombre de points controversés ou passés inaperçus.

1 - En 18, 4 se pose un problème de critique textuelle dont je vous propose de développer brièvement les conséquences : le sixième mot du verset commence-t-il par la lettre beth ou par la lettre kaf, qui lui ressemble graphiquement ? William Holladay, dans son grand commentaire de Jérémie, opte pour la leçon minoritaire avec kaf, ce qui permet selon lui d’éviter une tautologie. Selon lui, le texte comportant la variante (« comme il arrive à l’argile dans la main du potier ») implique que l’échec occasionnel du façonnage est dû à la volonté délibérée de l’argile, même si malgré cette opposition, le potier réussit à faire un vase. Mais si l’on prend l’autre option, ce qui me semble largement préférable ne serait-ce que pour des raisons de manuscrits, une autre question se pose : à quel verbe rattacher le complément baḥomer commençant par cette lettre b ? Vous le comprenez, le choix de la lectio difficilior ne facilite pas le travail d’interprétation. Le débat reste ouvert, même si la position de Holladay (avec la Bible de Jérusalem ou la traduction de Louis Segond) semble difficile à soutenir.

Des précisions sont apparues concernant la nature du parallélisme de 18, 7-8 avec les v. 9-10. Tous les commentateurs relèvent le parallélisme entre ces versets. Mais l’antithèse entre eux n’est pas parfaite. Dans ce tableau où les deux situations semblent équiprobables (on ne saurait pas si Dieu va punir ou faire grâce), le lecteur attentif découvre qu’une éventualité malheureuse se dessine de plus en plus clairement. La situation de Juda et de Jérusalem (à qui Jérémie devra parler, cf. v. 11) correspond à celle du v. 7 : elle est mal engagée. Mais la condition évoquée au v. 8 ne se réalisera pas. Au contraire, le v. 12 prédit l’obstination du peuple dans le mal.

Quant au chapitre 26, j’ai synthétisé les raisons structurelles qui mettent en évidence le discours d’autodéfense de Jérémie menacé de mort, en ajoutant plusieurs remarques allant dans le même sens.

Du point de vue de l’enchaînement entre conversion humaine et repentir divin, le chapitre 26 apporte une illustration concrète des considérations divines de 18, 7-10. Le peuple ne permet pas à Dieu de voir son espoir s’accomplir. L’éventualité abstraite présentée en 18, 7-8 a évolué : l’actualité à l’époque de Jérémie est celle d’un châtiment qui menace et d’un peuple qui refuse d’entendre l’appel divin. Les deux textes peuvent entrer, chacun à sa façon, dans le genre littéraire « oracle de conversion », selon la terminologie de T. Raitt qui me semble bien adaptée.

2 - Contre une hypothèse de Bovati, j’ai apporté un argument statistique permettant de ne pas attribuer les v. 20-23 à ceux qui viennent de prendre la parole, « les anciens du pays ». Selon moi, il faut fermer les guillemets après le v. 19 pour rendre la parole au narrateur.

La proposition de Gianguerrino Barbiero de voir le tournant du livre non pas au chap. 25 mais au chap. 19 est appuyée par ma lecture, mais cela peut être dû au thème qui a conduit à choisir les deux textes étudiés. La structure du livre de Jérémie n’est donc pas nécessairement la plus couramment admise.

Résultats théologiques

Chacun à sa façon, ces deux textes jérémiens mettent à l’honneur la mission prophétique (cf. les études sur la parole de Dieu chez Jérémie).

Mon étude apporte des éléments de théologie de l’histoire (c’est la partie appelée « D’une menace à l’autre » à partir de la p. 370). Le peuple est gravement menacé, mais cela entraîne aussi le risque de mort pour Jérémie. Celui-ci évité, les autorités semblent oublier l’épée de Damoclès qui pend au-dessus de Jérusalem, ou plutôt ne pas vouloir (ne pas pouvoir ?) la prendre au sérieux. Ainis, on peut lire au chap. 26 un accomplissement discret de la prédiction du refus qui se trouve en 18, 12.

1 - Quelle réalité recouvre le « repentir » divin ? Plutôt que de suivre les exégètes selon qui YHWH ne se repent aucunement (ils sont de plus en plus rares, même si la position origénienne d’une « tromperie pédagogique » mérite d’être rappelée), ou qu’il adapte son projet au cours de l’histoire (comme le pense Jean-Pierre Sonnet), l’interprétation de Heschel me semble une voie médiane prometteuse : en Dieu, explique-t-il, c’est l’amour miséricordieux qui est le plus constant. Sa colère est passagère. De même, le changement d’avis divin, ce « repentir » qui conduit YHWH à détruire ou à renoncer à un projet annoncé, n’est qu’un état transitoire, rendu nécessaire par la conduite humaine. L’affirmation qui me semble la plus juste est que tout se passe comme si le projet divin s’adaptait en fonction de la conduite humaine, mais en même temps (et c’est là le point qui défie la logique humaine) comme si Dieu était guidé par son amour exigeant, d’une façon constante. Ainsi, l’être humain sait que ses choix ont des conséquences sérieuses. Cette étude invite à ménager tant la souveraineté et l’omniscience de YHWH que la liberté humaine.

2 - Cette étude confirme, à travers un contexte inquiétant, que Dieu veut que tous les hommes soient sauvés. Du moins, il veut que Juda se convertisse pour pouvoir échapper au châtiment lié à la conquête babylonienne de Jérusalem. Mais l’apparente incertitude divine quant à la réponse du peuple n’empêche pas Dieu de prédire le refus d’une manière explicite (18, 12) ou simplement suggérée (18, 7-10), puis de le raconter en filigrane au cours du procès (Jr 26). C’est pourquoi on peut parler d’« espoir » de Dieu en soulignant le « peut-être » que Dieu confie à son messager (26, 3) comme à Joël et Jonas. Pour moi, le repentir de YHWH est ici un argument de son discours visant à provoquer la conversion dont Jérémie est le héraut. Au seuil d’une tragédie, il prêche l’espoir ressenti par Dieu, pour obtenir le retournement du peuple. L’échec historique de ce procédé n’empêche pas que d’autres lecteurs de Jérémie saisissent cette offre et échappent à un malheur plus grand encore.

4.     Imperfections et pistes de recherche ultérieure

L’impossibilité de conclure quant à la réalité effective du « repentir » divin est à la fois une limite et l’occasion d’un autre questionnement : la « pédagogie » divine chère aux Pères de l’Église. En théologie spirituelle, comment les mystiques interprètent-ils cette conviction d’être considérés comme des enfants par Dieu qui leur donne tantôt du lait, tantôt de la nourriture solide (cf. 1 Co 3, 2) ? D’ailleurs les différentes versions et traditions manuscrites montrent la difficulté des Pères et des rabbins à interpréter ce point.

J’ai étudié différentes positions concernant le sens de ce « repentir » divin, mais sans donner un aperçu statistique des raisons évoquées par le texte biblique. Le travail méticuleux mené sur deux textes choisis n’apporte pas une vision d’ensemble. D’une part, le développement théologique qu'appelle la question du repentir divin gagnerait à être repris dans un contexte biblique plus large. D’autre part, la pensée théologique se base sur les données bibliques mais sans s’y arrêter, une élaboration philosophique est nécessaire.

L’état final de mon texte porte les stigmates de sa relativement longue Redaktionsgeschichte. Je veux dire que l’analyse contextuelle de l’épisode du potier aurait pu se poursuivre avec celui du procès. Mais un exégète nigérian, Anthony Osuji, a récemment suivi cette piste en insistant sur un autre thème, et j’estime que ce n’est pas cet aspect de son approche qui a été le plus fructueux.

Il serait bon d’étudier plus largement le thème du potier et du façonnage de l’argile dans du texte saint. Par exemple, en Gn 2, 7, YHWH Elohim « façonne » l’être humain (Adam), « poussière du sol (adamah) ». Is 45, 9 rappelle la souveraineté du créateur, reprise par Rm 9, 21.

Mon étude de Jr 26, 20-23 passe rapidement sur l’histoire d’Ouriyyahou, prophète contemporain de Jérémie qui est, lui, exécuté. Mais son histoire mérite sans doute d’être reprise, car elle aurait pu être résumée en un demi-verset.

Les ruptures de la séquence temporelle dans Jr 26 (par exemple dans ma proposition de traduction du dernier verset) méritent d’être reprises (comme en témoigne l’intérêt d’un récent recueil d’articles dans la Revue Biblique sur l’expression du temps dans la Bible).

1 - Notre choix de textes semble indiquer que la miséricorde de Dieu est promise sous condition. Un écho de cette conception pourrait se trouver en Ez 18 (par ex. au v. 21), ou encore en Lc 23, 42-43 dans le dialogue entre le bon larron et le Seigneur Jésus. Pourtant, d’autres passages évoquent un pardon divin inconditionnel, comme déjà Os 11 ou Jr 31. Les évangiles et Paul s’inscrivent dans une logique de gratuité, même s’ils continuent à prêcher la conversion : « Le Royaume de Dieu s’est approché, [donc] convertissez-vous. » Dans d’autres passages, la miséricorde apparaît non comme une conséquence de la conversion humaine, mais comme l’attribut divin qui la précède et la suscite.

2 - Les conséquences de l’action humaine portent jusqu’en l’action de Dieu. Mais au temps de Jérémie, il n’est pas question explicitement d’une conséquence éternelle de nos choix temporels. La punition collective qui menace les contemporains de l’homme d’Anatoth est la destruction du Temple, de la ville de Jérusalem, et l’exil. Quand Jésus menace de la géhenne, il parle d’un feu « qui ne s’éteint pas » (par ex. Mc 9, 43. 47). La théologie de la rétribution n’est pas morte avec le Seigneur Jésus. On a même dit qu’il avait inventé l’enfer. Aussi le scandale de l’apparente injustice du traitement des justes et des impies ici-bis trouve-t-il une résolution dans la ferme espérance de la vie au-delà de la mort. Jérémie a annoncé la miséricorde surtout « en creux », en montrant qu’elle n’était pas automatique, Dieu prenant au sérieux la liberté humaine. Sans doute faut-il équilibrer cette prédication du châtiment par la lecture des annonces du salut, sans oublier toutefois les conséquences tragiques d’un refus persistant.



[1] Théologie de l’Ancien Testament (trad. de l’allemand par L. Jeanneret) (MoBi ; Genève, Labor et Fides 1981) 34-35.

[2] Synthétisé dans sa monographie « Tu mi hai sedotto, Signore ». Le confessioni di Geremia alla luce della sua vocazione profetica (ABS 2 ; Rome, GBP 2013).

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« L’espoir de Dieu » - exposé initial - 9 janvier 2017

 

1. Thème, sujet, méthode.

 

2. Difficultés.

 

3. Résultats.

 

4. Imperfections et pistes de recherche ultérieure

 

 

 

Traduction littéraire de Jr 18, 1-12

 

1. La parole qui fut adressée à Jérémie de la part de YHWH :

 

2. « Lève-toi et descends à la maison du potier, et là je te ferai entendre mes paroles. » 3. Je descendis à la maison du potier, et le voici en train de travailler sur le tour. 4. Lorsque s’abîmait dans la main du potier le vase qu’il était en train de faire avec l’argile, il en refaisait un autre vase, comme il était droit de faire aux yeux du potier.

 

5. Alors la parole de YHWH me fut adressée :

 

 

 

6. « Ne serais-je pas capable de faire avec vous comme ce potier,

 

maison d’Israël ?

 

Oracle de YHWH !

 

Voici : comme l’argile dans la main du potier, ainsi êtes-vous dans ma main, maison d’Israël.

 

(Deux éventualités parallèles et opposées en Jr 18, 7-10)

 

Séquence 1 :

Jr 18, 7-8 (où YHWH envisage de renoncer au châtiment annoncé)

Séquence 2 :

Jr 18, 9-10 (où YHWH envisage de renoncer au bien annoncé)

Phase 1 :

Projet divin

7. Tantôt, alors que je parle contre une nation et un royaume de déraciner, détruire et exterminer,

9. Cependant, tantôt, alors que je parle contre une nation et un royaume de construire et planter,

Phase 2 :

Action du peuple

8a. (mais) si cette nation contre laquelle j’ai parlé revient de sa méchanceté,

10a. (mais) s’il fait le mal à mes yeux, en n’écoutant pas ma voix,

Phase 3 :

Repentir de YHWH

8b. alors je me repens du mal que j’avais planifié de lui faire. 

10b. alors je me repens du bien que j’avais dit vouloir accomplir à son égard.

 

11. Et maintenant, s’il te plaît, dis à l’homme de Juda, prononce contre les habitants de Jérusalem : “Ainsi dit YHWH : Voici ! Je suis en train de façonner contre vous un mal et de méditer contre vous un plan ; s’il vous plaît, revenez chacun de sa voie mauvaise, et rendez bonnes vos voies et vos œuvres.” 12. Mais ils diront : “Sans espoir ! Car à coup sûr, nous suivrons nos propres plans, et agirons chacun selon la dureté de son propre cœur mauvais.” »

 

Traduction littéraire de Jr 26

 

1. Au commencement du règne de Joiaqim, fils de Josias, roi de Juda, cette parole fut adressée de la part de YHWH :

 

2. « Ainsi dit YHWH : tiens-toi dans la cour du Temple, et prononce,contre toutes les villes de Juda qui viennent se prosterner au Temple, toutes les paroles que je t’ordonne de leur dire ; ne retire pas une parole. 3. Peut-être écouteront-ils et reviendront-ils alors chacun de sa route mauvaise ; en ce cas je me repentirai du malheur que moi, je pense à présent leur envoyer, au vu de la malice de leurs œuvres. 4. Dis-leur : “Ainsi dit YHWH : si vous ne m’obéissez pas en marchant dans ma Torah que j’ai placée devant vous, 5. en écoutant les paroles de mes serviteurs les prophètes, que je ne cesse de vous envoyer, encore et encore – mais vous n’avez pas écouté –, 6. alors je traiterai ce Temple comme Shilo et de cette ville je ferai un exemple de malédiction pour toutes les nations de la terre.” »

 

7. Les prêtres, les prophètes et tout le peuple écoutèrent Jérémie prononcer ces paroles dans le Temple. 8. Lorsque Jérémie eut achevé de dire tout ce que YHWH lui avait ordonné de communiquer à tout le peuple, les prêtres, les prophètes et tout le peuple le saisirent en disant : « Tu as signé ton arrêt de mort ! 9. Pourquoi as-tu vaticiné au nom de YHWH en ces termes : “Comme Shilo sera ce Temple et quant à cette ville, elle sera rasée, inhabitée !” ? » Et tout le peuple s’assembla auprès de Jérémie dans le Temple. 10. Ayant appris ces événements, les princes de Juda montèrent de la maison du roi jusqu’au Temple et s’assirent à l’entrée de la porte Neuve de YHWH.

 

11. Les prêtres et les prophètes dirent aux princes et à tout le peuple : « La peine de mort pour cet homme ! Car il a vaticiné au sujet de cette ville ainsi que vous l’avez entendu de vos oreilles ! » 12. Jérémie s’adressa à l’ensemble des princes et du peuple :

 

« C’est YHWH qui m’a envoyé “vaticiner”, au sujet de cette maison et de cette ville, toutes les paroles que vous avez entendues. 13. Et maintenant, améliorez vos voies et vos œuvres, et écoutez la voix de YHWH votre Dieu, pour qu’Il  se repente du malheur qu’Il a prononcé contre vous. 14. Quant à moi, me voici entre vos mains, faites-moi comme il est bon et droit à vos yeux. 15. Mais attention ! Sachez avec certitude que si vous me mettez à mort, c’est un sang innocent que vous répandez sur vous-mêmes, sur cette ville et ses habitants, s’il est exact que YHWH m’a envoyé contre vous, pour dire toutes ces paroles à vos oreilles. »

 

16. Alors les princes et tout le peuple répondirent aux prêtres et aux prophètes : « Cet homme ne mérite pas la peine de mort ! Car c’est au nom de YHWH notre Dieu qu’il nous a parlé. »

 

17. Avant cette sentence, quelques anciens du pays s’étaient levés pour dire à toute l’assemblée du peuple : 18. « Michée le Moréchite vivait à l’époque d’Ézéchias roi de Juda. Il exerçait la fonction prophétique, disant à tout le peuple de Juda :

 

“Ainsi dit YHWH des armées : Sion telle un champ sera labourée, Jérusalem ruines deviendra, et le mont du Temple, des hauts-lieux boisés.

 

19. Ézéchias roi de Juda ou qui que ce soit en Juda l’ont-ils mis à mort, à mort ? Le roi n’a-t-il pas craint YHWH et apaisé sa face ? Ensuite, YHWH s’est repenti du malheur qu’Il avait prononcé contre eux... mais nous, en revanche, nous sommes sur le point de nous auto-infliger un grand malheur ! »

 

20. Il y avait encore quelqu’un qui faisait le prophète au nom de YHWH : Urie fils de Chemayahou, de Qiryath-Yearim. Il prophétisa contre cette ville et ce pays en des termes semblables à ceux de Jérémie. 21. Le roi Joiaqim, avec tous ses gardes et tous les princes, entendit ses paroles et chercha à le mettre à mort. Averti, Urie prit peur ; il s’enfuit et parvint en Égypte. 22. Le roi Joiaqim envoya des hommes en Égypte : il y envoya Elnathân fils d’Akbor et des hommes avec lui. 23. Ils firent extrader Urie d’Égypte, l’amenèrent au roi Joiaqim qui le frappa de l’épée et jeta son cadavre dans une fosse commune.

 

24. Mais attention ! Tout ce temps-là, la protection d’Ahiqam fils de Chafân était acquise à Jérémie, pour éviter qu’il fût livré aux mains du peuple et mis à mort.

 

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